Ebooks: 7 raisons pour expliquer l’échec Français


Le 30ème salon du livre de Paris est désormais ouvert, dans une ambiance morose. Il est vrai que le constat n’est pas vraiment réjouissant. La France semble avoir câlé sur l’ebook et le monde du livre, qui n’a pas su anticiper, n’arrive pas à se mettre d’accord pour proposer une offre.

Un bilan désastreux concernant l’ebook…

  • Un catalogue trop faible, trop cher, et éclaté :

On aurait numérisé 50.000 à 70.000 ouvrages. Des chiffres apparemment encourageants, mais très faibles en réalité, et qui représentent à peine 10 % des ouvrages édités. Mais en réalité, c’est bien pire, puisque la plupart des ebooks seraient des documents libres de droit (et pas les livres que l’on trouve en librairie).

Selon le site actualitté, toujours bien informé, les chiffres sont largement surestimés, et pourraient n’être que de 15.000 à 20.000 en réalité.

De plus, la plupart des Français ne savent pas où trouver des ebooks, car l’offre est éclatée un peu partout sur internet…et quand ils les trouvent, les prix sont chers, c’est à dire proches du livre papier, et parfois au même prix. On est loin des 50% moins cher que demande le consommateur pour dépasser ses résistances à passer au numérique.

Selon les sources SNE et hachette, les ventes d’ebooks ne représentent même pas 0,1% du marché. On se demande bien pourquoi…

  • Des éditeurs qui ont du mal à changer leur politique de prix.

Les éditeurs se félicitent de la remontée des prix possible grâce au modèle initié par Apple. Selon ce dernier modèle, les prix seraient fixés entre 12,90 $ et 14,90 $ sauf dans des situations exceptionnelles.

Je trouve cependant étonnant que les éditeurs Français se félicitent de tels prix alors qu’ils pratiquent aujourd’hui de simples réductions de 20% maximum sur les prix papier. On est donc souvent loin du compte, même à 14,90 $.

Est-ce le signe que l’édition cherche désormais simplement à sauver ce qui peut l’être (en termes de prix) ?

En tout cas, une chose est claire : au delà de 10 €, les études montrent que les ventes seront quasiment nulles….

  • Une chaîne du livre qui joue un jeu dangereux :

Procès La Martinière contre Google, numérisation de la BNF, procès de Google aux Etats-unis, accusations envers Amazon….chez les médias, les éditeurs, et la chaîne Française du livre en général, ces quelques petites victoires ont galvanisé les troupes, et le ton est devenu supérieur, et même parfois arrogant.

Or, cette attitude n’est peut-être pas la meilleure des idées.

Les Google, Apple, et Amazon auront bientôt les moyens d’éliminer de la chaîne du livre éditeurs et libraires, et de redistribuer les commissions différemment : 70% à l’auteur et 30% pour eux, plus une belle baisse des tarifs pour le consommateur.

Alors si pour l’instant, ils ont décidé de traiter avec les éditeurs, il ne faudrait peut-être pas les en dissuader définitivement.

  • Des réactions inadaptées et trop tardives…

La vision des politiques et des éditeurs concernant le marché des ebook est en retard de plusieurs années. Les éditeurs commencent à peine à numériser leurs catalogues.

Côté politique, on trouve qu’une TVA à 5,5 est prématurée car le marché est naissant.

Bref, on anticipe pas, et il est trop tard….

  • Une sur-estimation idéologique de nos capacités réelles…

On parle de s’unir pour proposer une alternative crédible à Google Livres. L’idée aurait été ambitieuse il y a 5 ans, même avec 1 milliard d’euros dédié à cet objectif .

5 ans après, avec quelques millions en poche, cela ressemble à une blague, et prouve que ceux qui discutent actuellement ne connaissent pas le monde d’internet.

Car même si nous arrivions à nous rapprocher un jour de Google livres, un simple coup d’accélérateur du géant de l’internet nous ferait comprendre que nous n’avons aucune chance sur leur terrain.

Nous faisons la même erreur concernant la numérisation. Le débat dure depuis des années, alors que la réalité économique est simple : numériser avec Google, ou ne pas numériser. Nous n’avons pas les moyens de nous passer d’eux.

Mais l’europe ne fait pas beaucoup mieux. Voici d’ailleurs quelques points tirés d’un article sur le projet « Européana », qui montre que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions, même au niveau Européen. Je vous conseille vraiment de le lire en entier ici : Bibnum

-La BnUE (bibliothèque numérique européenne, ou Europeana), lancée en fanfare il y a cinq ans, n’atteint pas son objectif d’être une alternative à Google.

-D’un point de vue politique, ceci amène le citoyen à s’interroger sur le battage politique et médiatique au plus haut niveau (président Chirac à l’époque) et la réalité des maigres résultats ; il en va de même des programmes européens, coûteux et ralliant une audience limitée.

-Europeana se limite d’ailleurs à un portail de recherche de documents multimedia (livres, manuscrits, photos, vidéos,…), renvoyant vers les sites des bibliothèques nationales (surtout Gallica d’ailleurs).

-A propos des éditeurs, l’économie mixte à la française à conduit à créer un appendice dans Gallica, difficlement visible et compréhensible, affichant des livres sous droits, avec des visualisations différentes suivant l’éditeur (Gallimard, etc.) – programme financé sur fonds publics (augmentation de la taxe sur les imprimantes-scanners gérée par le CNL).

-Par comparaison, en Allemagne, dès 2005 les éditeurs se sont groupés entre eux pour faire une bibliothèque numérique Libreka.

Lire l’article complet sur : Bibnum

  • Un syndicat national de l’édition qui n’arrive pas à générer un consensus….

Le SNE n’arrive pas à faire sortir de son chapeau une position commune. Et ce depuis le début. Difficile en effet de mettre d’accord des centaines d’éditeurs aux politiques, aux tailles, et aux stratégies différentes.

Et comme si cela ne suffisait pas, le président actuel du SNE, Serge Eyrolles, vient de démissionner et la nomination de son remplaçant crée un conflit très malvenu.

Le remplaçant proposé est Alain Krouch, président d’Editis, 2nd groupe d’édition français. Hachette, 1er groupe Français, refuse cette nomination et quitte la table des négociations.

Alors qu’il est urgent de créer une plateforme commune, et de s’attaquer aux dossiers de l’harmonisation de la législation sur les droits d’auteur, du prix unique du livre numérique, de la TVA à 5,5 %, et de gérer le salon du livre, on se demande bien ce qui pourrait sortir du chapeau du SNE et qui serait assez miraculeusement efficace pour se repositionner sur l’échiquier mondial de l’ebook.

En effet, dans quelques semaines, les cartes auront commencé à été redistribuées, et il sera peut-être trop tard pour changer l’équilibre des forces que nous avons regardé passivement se construire sous nos yeux (parcequ’on ne croyait pas aux ebooks).

  • Des lecteurs d’ebooks pas encore à maturité, trop chers et pas disponibles.

Les lecteurs d’ebooks sont des versions d’essai de ce qui se prépare. Tout le monde le sait, et à 250 € en moyenne, personne ou presque n’achète. Ce n’est pas spécifiquement Français, et pour une fois, cocorico, car nous avons même avec Booken un constructeur Français parmi les plus dynamiques au monde, et qui s’attaque aussi au prix.

Mais le problème Français, c’est qu’en dehors de la FNAC qui expose discrètement (voire très discrètement) ses lecteurs en magasin au milieu des livres (et pas de l’informatique), on ne peut les trouver, les toucher, les essayer nulle part. Beaucoup de personnes me demandent sur twitter où ils peuvent voir ou essayer ces lecteurs, et malheureusement, la plupart ne sont pas encore disponibles en France. Essayez donc de tester un Kindle…

Il y a un vrai problème aujourd’hui, car les futurs consommateurs ne veulent pas acheter uniquement sur internet. Ils ont besoin de voir, et de tester.

Ce sera d’ailleurs une des raisons du succès de l’iPad qui sera à priori bien mieux mis en valeur dans nos magasins français.


Espérons que le salon du livre sera l’occasion d’annoncer de vrais changements, des partenariats, des collaborations….sinon, il n’y aura rapidement plus grand chose à sauver !